D’un côté du ring on a Lou Doillon qui nous parle du féminisme de grand-mère, de l’autre côté du ring les strings de Beyoncé et Nicki Minaj. Des deux côtés, chacune se bat pour la même chose : le féminisme. Mais quel camp choisir ?
Féminisme de l’esprit VS féminisme du corps
Dans une interview récente accordée au quotidien El Pais, Lou Doillon a vociféré contre des artistes comme Beyoncé et Nicki Minaj, qui selon elle sont vulgaires. A ses yeux, elles dégradent l’image de la femme et font régresser les combats pour lesquels les « vraies féministes » se sont battues. Pour la citer, « sa grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string ». Derrière cette phrase un peu choc, se cache en fait une symbolique intéressante. D’un côté, on a l’image de la grand-mère : figure maternelle, figure du passé, non sexualisée, vue ici comme sorte de caution de la sagesse, de la vérité. Et de l’autre le string : objet vicieux, rabaissant, sexuel, méprisable, salement moderne.
En une phrase, Lou Doillon résume une lutte entre deux visions du féminisme. Le premier, c’est le féminisme qui se positionne en frontal contre la domination masculine et son image objetisée de la femme. C’est lé féminisme qui dit : les femmes sont aussi sérieuses, valables que les hommes, ce ne sont pas des objets sexuels. Ce féminisme-là, c’est le féminisme que je qualifierais de « féminisme de l’esprit ». Ce qui importe d’abord, c’est de montrer qu’avec un corps de femme, on peut accomplir autant de choses qu’un homme. On peut voter, on peut retirer de l’argent à la banque seules, on peut accéder à des hautes fonctions « comme des hommes ». Nos esprits ne sont pas inférieurs sous prétexte qu’on a un corps différent de celui de l’homme. Tout pour montrer qu’une femme et un homme n’ont pas de différence. Le corps a d’ailleurs été utilisé pour accentuer les similarités homme-femme : coupes à la garçonne, port du pantalon par exemple, dans le but de prôner l’égalité des sexes.
Le second, c’est le féminisme que j’appelle « madonnien ». C’est Madonna, Beyoncé, Nicki Minaj, Rihanna. C’est le féminisme du corps, qui utilise le corps comme une arme. C’est le féminisme qui revendique au contraire le droit d’être femme désirable, désirée et désirante tout en rejetant absolument la domination exclusivement masculine. C’est le féminisme qui dit : oui mon corps est un objet de désir, mais c’est moi qui le décide. Si j’ai envie de montrer mon corps, c’est mon choix. Si j’ai envie que toi homme, tu me désires, je le décide. Si j’ai des désirs sexuels, je les assume et ne m’en cache pas. Et cela ne fait ni de moi une salope, ni ta chose, ni une soumise, et dans le pire des cas, c’est que je l’aurai voulu ainsi. C’est le féminisme qui en quelque sorte se sert des outils de domination des hommes pour les retourner contre eux et en tirer avantage.
Suis-je du côté obscur du féminisme ?
Alors voilà, moi qui ai toujours admiré le féminisme « madonnien », en lisant les propos de Lou Doillon, je me suis interrogée. Oui c’est vrai, ces femmes jouent de leur corps, sont très sexualisées et le revendiquent. Est-ce que c’est un danger pour le féminisme comme Lou Doillon le pense ? Pour la citer encore : « Quand je vois Beyoncé chanter nue sous la douche en suppliant son copain de la prendre, je me dis : « On assiste à une catastrophe ». Et en plus, on me dit que je n’ai rien compris, que c’est vraiment une féministe parce que dans ses concerts, un écran énorme le dit. Mais c’est dangereux de croire que c’est cool. » A-t-elle raison en fait ? Est-ce qu’agir ainsi, mettre en avant une sexualité débridée et exhib, ne serait pas un moyen de se mettre soi-même sous le joug de la domination masculine ? Et puis, est-ce normal que je comprenne le féminisme « madonnien » autant que le féminisme « louien », alors qu’ils sonnent comme totalement incompatibles dans les propos de Lou Doillon ? Suis-je en fait l’anti-féministe absolue ??
Je me suis vraiment dit pendant quelques minutes que j’avais un problème avec mon féminisme, qu’il était incohérent. Puis j’ai réfléchi longuement, et je me suis dit que non, je n’avais aucun problème. Le monde évolue, la société évolue, donc le féminisme aussi. Bien sûr que le féminisme de mamie a apporté des avancées considérables pour le statut de la femme. Grâce au féminisme de mamie, nous jouissons de droits que nous n’aurions peut-être pas sans cela. Et aujourd’hui encore, il ne faut pas négliger ou abandonner le féminisme de mamie. Mais le féminisme de Madonna, Beyoncé et leurs consoeurs, est également un bon féminisme. C’est le féminisme que je revendique sur ce blog, celui de la libre disposition de son corps de femme. Celui de la liberté d’être un être de désir autant qu’un homme. C’est le féminisme qui affirme que la domination sexuelle n’est pas juste un attribut masculin, qu’une femme peut jouer avec son corps comme elle l’entend, et pas seulement selon le désir de l’autre. Qu’il faut arrêter de penser qu’une femme qui revendique une sexualité libre est une salope, alors qu’un homme est un beau gosse. Ce féminisme que Lou Doillon voit comme dégradant pour la femme est en fait assez castrateur pour l’homme et nous place clairement sur un terrain d’égalité avec eux.
Libres de nos féminismes
Autre point qui m’a interpellé dans les propos de Lou Doillon : « Je suis la première qui peut foutre un mec dehors, parce que j’ai mon propre salaire, une maison à mon nom, et le droit d’élever mon fils seule. » C’est intéressant de dire cela pour appuyer une critique envers des femmes qui font exactement la même chose. En effet, Je n’ai pas la sensation qu’une Beyoncé ou une Nicki Minaj ait besoin d’un quelconque homme pour subvenir à leurs besoins au vu du pognon qu’elles amassent rien qu’en disant bonjour chaque matin, grâce à leur talent. Sans compter que dans un pays comme les US (et d’autres…), où être noire de peau est plus qu’un handicap, on ne peut que les féliciter d’en arriver là, de s’être imposées, et de montrer qu’on peut être femme, sexy, sexuelle et gagner sa vie en ayant autant de pouvoir qu’un homme. Et ceci sans venir d’une famille célèbre en plus, just saying…
Finalement, ce que moi j’en dis, c’est que ces deux féminismes combinés nous font beaucoup de bien à nous les femmes. Il ne faut pas qu’ils se regardent en ennemis, mais comme les jumeaux d’une même mère : la liberté des femmes de disposer d’elles-mêmes. Des deux côtés, la revendication première est l’égalité des sexes, seuls les moyens empruntés pour y parvenir diffèrent. L’adage dit « un esprit sain dans un corps sain », signifiant que l’un ne peut être séparé de l’autre. Le féminisme ne doit pas non plus dissocier esprit et corps. Continuons d’agir pour être libres de penser et de disposer de nos corps comme bon nous semble. A quoi bon se tirer dans les pattes entre nous ? C’est en avançant ensemble main dans la main qu’on continuera d’avancer tout court.
Et vous, que pensez-vous de ces différents féminismes ?
Les chiennes ne font pas les chattes. J'oscille entre les deux.
Je doute de la sincérité du féminisme des filles de l’industrie du disque américaine.
Je crois que la sur-érotisation du corps est un passage obligé pour toute fille qui veut percer dans la musique aux Etats-Unis. (Madonna, Britney Spears, Cristina Aguilera, je pourrais multiplier les exemples à l’envi).
Les tenues échancrées, les positions lascives, la plastique « pimpée », tout cela tient plus d’une stratégie marketing que d’une affirmation politique de sa condition de femme.
J’en veux pour preuve le parcours de Stefani Germanotta, qui peinait à faire connaître ses chansons avant de devenir la reine de la provoc’ sous le pseudonyme de Lady Gaga.
Si on lui laissait le choix, pas sûr que Miley Cirus s’amuserait encore à faire des gorges profondes à son micro.
Pour voir à l’oeuvre, le « féminisme du corps », je ferais plutôt confiances aux filles de Burning Angel et sa grande prêtresse Joanna. Au moins, dans ce porno au féminin, ne doute-t-on pas de la sincérité de la démarche.
Article très intéressant,
j’aime la manière dont sont présentées les deux visions. Même si peut être un peu caricatural, c’est bien dit.
Je n’ai pas encore « d’obédience » féministe particulière, mais je me pose une question concernant la vision du féminisme du corps.
En effet j’ai bien souvent du mal a définir les contours de ce qui semble être du féminisme militant anti machiste en utilisant sont corps à la Madonna&co ou de ce qui relève du » je me met nu pour vendre plus de disque ». Il est facile de se cacher derrière un acte militant alors qu’il s’agit simplement de se soumettre aux diktats de l’industrie du disque/films (…) pour plaire et vendre toujours plus.
Si vous avez des pistes de réflexion je serais ravies de les explorer 🙂
Sinon billet très instructif!
Merci pour ton commentaire et ravie que mon billet t’ait intéressé. Effectivement, ta question est légitime. Où se situe la limite entre leur féminisme affiché et les impératifs marketing ? Je n’ai pas la réponse. Mais j’ose penser néanmoins que le message qu’elles veulent transmettre, elles en restent libres. D’autres stars montrent leurs corps sans revendiquer aucun féminisme, sans s’engager pour la cause des femmes, que ce soit dans leurs discours ou leurs actions. S’il est vrai que c’est sûrement plus vendeur pour une Beyoncé ou une Nicki Minaj de mettre en avant leurs corps, se servir de cet outil marketing pour en faire un acte militant, n’est pas plus mal non ? 🙂
« hélas ! Les femmes entre elles… »
« la femme est une louve pour la femme »
Je trouve ces remarques sexistes….
J’ai toujours cru que le féminisme prônait le droit pour les femmes d’être des individus non rabaissés à leur « condition » de femme….
Les féministes peuvent, et je dirais même doivent être divisées, ça prouve qu’elles ont la liberté de l’être… je ne crois pas qu’elles soient divisées simplement parce qu’elles sont des femmes… elles le sont parce qu’elles sont des entités pensantes.
Cela dit, excellent article !
Excellent article.
Je plussoie totalement et j’ai ressenti exactement la même chose : les mots de Lou Doillon m’ont parlé, comme ceux de ses détracteurs m’ont parlé également. J’ai juste déploré que ça se passe dans une telle agressivité.
Cet article est apaisant. Merci. 🙂
Bonjour Valéry,
Merci pour ton commentaire. Oui, c’est cette agressivité qui était difficilement compréhensible. On peut ne pas être d’accord mais pourquoi s’envoyer à ce point des flèches ? J’ai pas pigé là ! ^^ Contente que tu trouves mon article « apaisant ». 🙂
Totalement en phase avec les remarques ci-dessus, concernant les divisions et le fait que les femmes elles mêmes sont tout à fait capable de se faire du mal (il n’y a qu’à voir comment certaines élèvent leurs garçons).
Sinon… à la lecture de l’article, mon inspiration c’est : « la mère ou la pute, encore ? c’est sooo yesterday ».
« la mère ou la pute, encore ? » Tu as tout dit. Faudrait monter un collectif « Mère et pute »* en fait ou « Mothwhore » :p
Ton article illustre parfaitement ce que je pense, avec un brin de provocation: le plus gros problème du féminisme, ce sont … les femmes. Il n’y a pas plus divisées que les féministes. Comme tu le décris, il y a d’un côté, l’ancienne vague (ce que prone Doillon) et la vague plus récente, les féministes pro sexe (Kathleen Hanna, Virginie Despentes etc…) qui inspire Beyoncé, Madonna etc…
Et ce ne sont pas les seules divisions… hélas ! Les femmes entre elles…
Billet hyper bien écrit. Bravo !
Merci beaucoup pour ton commentaire Emmanuelle ! Ravie que ce billet t’ait plu.
Je dirai juste qu’hélas, la femme est une louve pour la femme… 😉
Non mais en fait, c’est pas des querelles de gamines, hein… Il y a plusieurs courants féministes et si les féministes sont rarement d’accord, c’est pas pour des histoires de jalousie ou de « les femmes entres elles, elles se font toujours des coups bas », c’est avant tout politiquement qu’elles ne sont pas d’accord, et c’est le mot politique qui est le plus important.
Ensuite, sur l’idée qu’il « n’y a pas plus divisées que les féministes », ben il me semble qu’on voit pas la même chose alors, parce qu’au PS, c’est pas trop ça, à l’UMP, il y a plein de courants, chez les communistes, ça clashe à mort… Et puis ça veut dire quoi ? On va demander à Mamans toutes égales de militer avec Elisabeth Badinter ?
Le plus gros problème du féminisme, ce n’est pas les femmes, c’est le patriarcat !